Ne cachez pas vos moisissures!

Si vous vendez en connaissance de cause une maison contaminée de moisissures cachées sans en informer l’acheteur, vous risquez non seulement de reprendre votre propriété et de rembourser les frais engagés par l’acheteur pour ses travaux de réparations, mais aussi de lui verser des dommages punitifs si sa santé a été menacée.

C’est ce que vient de confirmer la Cour d’appel du Québec, le 7 mars. «À ma connaissance, c’est un des premiers jugements au Québec où on octroie des dommages punitifs dans le cadre de contamination de l’air et fongique dans un immeuble, pour l’atteinte à la santé et la sécurité des gens appelés à y résider», se réjouit Me Alain Caron, l’avocat de la plaignante.

Sylvie Savaria avait visité une maison unifamiliale inoccupée mise en vente à Clarenceville à l’été 2008 par Linda Davignon et son fils, Gregory Gibson. Rassurée par la note de 7 sur 10 accordée par son inspecteur en bâtiment, Mme Savaria signe l’acte de vente le 10 octobre 2008, lequel stipule que la «vente est faite sans garantie et aux risques et périls de l’acheteur». Elle entreprend immédiatement des travaux de rénovation qui s’élèvent à 48 500$.

Elle emménage dans la maison le 1er décembre 2008. Peu de temps après, une ancienne locataire de l’immeuble lui apprend qu’elle a dû quitter son appartement en 2007 parce que la contamination fongique lui avait causé des problèmes de santé.

Elle avait remis aux propriétaires une lettre d’un médecin spécialiste en médecine communautaire, qui confirmait le lien entre les moisissures et la dégradation de son état de santé. Le Dr Louis Jacques y mentionnait notamment que le logement ne pouvait être reloué dans son état actuel sans réparations majeures et qu’ «il devra être démontré que la contamination fongique a été enrayée afin d’éviter que l’état de santé d’autres personnes ne soit gravement affecté».

Alertée par cette mise en garde et par la détérioration de sa santé, Mme Savaria tente de régler la situation à l’amiable avec l’aide d’une médiatrice. Après une mise en demeure restée lettre morte, elle se résout à une requête en justice.

Dans un jugement rendu le 13 décembre 2010, la juge Marie-France Courville, de la Cour supérieure du Québec, lui a donné raison.

Mme Davignon et M. Gibson ont formulé de fausses représentations et ont fait preuve de mauvaise foi en ne communiquant pas le contenu de la lettre du Dr Jacques. «L’omission de transmettre cette information essentielle et déterminante démontre, de la part de la défenderesse Davignon, un mépris total des intérêts de la demanderesse et une insouciance face aux conséquences qui en résultent», a indiqué la juge Courville dans son jugement de 10 pages. «Étant donné la faute lourde commise par les défendeurs, la clause d’exclusion de responsabilité contenue à l’acte de vente signé le 10 octobre 2008 est inopérante.»

Outre la résiliation de la vente, la juge Courville a accordé à Sylvie Savaria le remboursement des 48 500$ investis en travaux et, surtout, le paiement de dommages et intérêts punitifs de 20 000$.

Porté en appel par Mme Davignon, ce jugement vient donc d’être confirmé par les juges André Rochon, François Doyon et Nicole Duval Hesler.

Un tournant

«Les dommages exemplaires sont très difficiles à obtenir», se réjouit Me Daniel Caisse, au cabinet auquel Mme Savaria avait confié sa cause, en association avec Me Caron. «Ce sera un tournant en matière de vices cachés.»

Marie Annik Grégoire, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal, est plus circonspecte. «C’est vrai qu’il y a une porte qui s’ouvre sur les dommages punitifs. Cependant, on ne les a pas accordés sur le droit de la propriété, mais sur l’atteinte à la santé», explique-t-elle.

Ce contenu a été mis à jour le 23 août 2014 à 12 h 37 min.